Il fallait absolument que je partage avec vous cet article de Caroline Montpetit, paru dans Le Devoir du 12 août.
"Au premier coup d'œil, la maison Carpe Diem, à Trois-Rivières, est une maison comme une autre. Un escalier, une cuisine, un salon. Des gens de différents âges qui discutent, qui partagent un même espace.
Même si la maison accueille des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, les portes n'y sont pas verrouillées. Les personnes qui sont jugées aptes à le faire peuvent d'ailleurs sortir marcher, seules, dans la ville.
C'est le cas de Mme Lorraine Rheault, qui réside dans cette maison depuis quelques mois, ou encore de M. Gérard Desharnais, qui aime se balader à son rythme dans la ville.
La maison Carpe Diem est reconnue à travers le monde pour son approche bien particulière des personnes souffrant d'alzheimer. Combinant les services à domicile, les services de jour et de soir et l'hébergement, elle mise avant tout sur les forces des personnes touchées par cette maladie. Lorsqu'on fait la cuisine, on invite, si elles le veulent, les personnes atteintes d'alzheimer à participer à la préparation du repas. Les services à domicile sont aussi dispensés en collaboration avec ces personnes.
Selon Nicole Poirier, directrice de Carpe Diem, cette approche, qui est fondée sur les forces des individus plutôt que sur leurs pertes liées à la maladie, a un effet bénéfique sur leur santé.
Elle se souvient du cas d'un homme à qui on avait diagnostiqué des troubles de comportement et à qui on avait prescrit des médicaments dans un CHSLD. Étourdi par cette médication, l'homme a perdu l'équilibre, et on l'a installé dans un fauteuil roulant, avec des culottes d'incontinence. Après avoir adapté sa médication, on l'a encouragé à se présenter à table debout, sans culotte d'incontinence. Son agressivité a baissé du même coup. Mais l'établissement a reçu moins de fonds pour ce malade qui nécessitait moins de soins par jour.
«C'est l'effet pervers du financement basé sur les pertes», dit Nicole Poirier.
Nicole Poirier n'est pas une directrice ordinaire. C'est à l'âge de 21 ans qu'elle lance sa première résidence pour personnes âgées, dans la maison familiale. La jeune femme a alors une formation en administration. Plus tard, elle poursuit des études en psychogérontologie et en administration publique, tout en participant à diverses études pour le compte du ministère de la Santé et des Services sociaux.
Mais, aujourd'hui encore, lorsqu'elle embauche des intervenants, Nicole Poirier s'intéresse beaucoup plus à la personnalité des candidats qu'à leur formation. Elle appréciera ainsi la capacité d'évaluer le risque dont fait preuve une mère de famille ou une ancienne éducatrice en garderie.
Selon Cindy Boulanger, qui travaille à la maison Carpe Diem et qui a une formation d'enseignante de niveau primaire, certaines approches mises au point par la maison pourraient également fonctionner en milieu scolaire. «On a de meilleurs résultats lorsqu'on mise sur les forces des enfants plutôt que sur leurs faiblesses», dit-elle. Nicole Poirier aime d'ailleurs citer des études qui montrent que des professeurs ont obtenu de bien meilleurs résultats avec leurs élèves lorsqu'ils les croyaient plus doués que les autres, alors qu'ils étaient en réalité d'un niveau moyen, tandis que d'autres professeurs ont obtenu des résultats plus faibles avec des élèves moyens qu'ils croyaient sous-doués.
Certaines personnes atteintes d'alzheimer ont des difficultés de langage, ce qui entraîne une sous-estimation de leurs autres capacités. Mais plusieurs vivent aussi un grand déni par rapport à leurs faiblesses.
Les intervenants de Carpe Diem ont des fonctions extrêmement diversifiées. Elles peuvent être appelées à faire le ménage comme la cuisine, à faire du sport ou à jouer aux cartes, en plus d'être à l'écoute des personnes qu'elles soignent. D'ailleurs, même les usagers de Carpe Diem sont invités à participer aux tâches ménagères s'ils le souhaitent.
Lors de notre visite, Diane Sirois, intervenante, avait servi des repas à 38 personnes, personnel compris, durant la journée, et Marielle Bérubé, qui fréquente la maison durant la journée, avait aidé à faire la vaisselle.
«Ma belle-mère est hébergée ici, raconte Diane Sirois, et son état s'est amélioré en flèche après son arrivée.» La dame, auparavant hébergée dans un autre centre, était alors très anxieuse et angoissée, et le médecin voulait lui prescrire des médicaments dont elle n'a finalement pas eu besoin. «Mon conjoint dit qu'elle serait morte si elle n'était pas venue ici», dit-elle.
Quelques jours avant notre passage à Trois-Rivières, l'un des usagers de Carpe Diem, qui aime marcher seul et qui fait généralement toujours le même trajet, est rentré beaucoup plus tard que prévu. Le personnel de la maison est parti à sa recherche. L'homme est rentré tard dans la nuit, ravi de sa soirée.
«J'ai finalement su qu'il était allé au port et avait pris une croisière de trois heures, où jouait de la musique des années 80 et 90», raconte Nicole Poirier. Chaque jour, Carpe Diem doit ainsi établir un équilibre entre sécurité et liberté pour ses clients.
Cette évaluation des capacités des usagers se fait en étroite collaboration avec les familles. Mais Nicole Poirier est formelle, elle ne croit pas aux évaluations traditionnelles qui attribuent une cote aux personnes. «Personne ne mérite d'être réduit à une cote», dit-elle. C'est jour après jour, en côtoyant les personnes atteintes, en faisant des activités avec elles, que les intervenants de Carpe Diem découvrent jusqu'où elles peuvent aller. Carpe diem."
J'avais 10 ou 11 ans, nous étions en 1953-54. Mon amie Mireille, qui dinait chez elle, était revenue à l'école, en larmes et toute rouge.
Avant que la cloche sonne pour nous rappeler dans les classes, elle eut tout juste le temps de me raconter que des gens étaient venus chercher son grand-père pour l'amener à l'hospice, qu'il ne voulait pas y aller et qu'elle non plus ne voulait pas qu'il parte. Bien sûr, elle ne connaissait pas tous les dessous de l'histoire, mais son chagrin faisait peine à voir. Elle trouvait son père dur et lui en voulait. Ma mère m'expliqua en fin de journée ce qu'était l'hospice et pourquoi les gens répugnaient à y aller.
En tant que société, nous avons fait quelques progrès mais il reste beaucoup à accomplir. En tant qu'individu, une réflexion sérieuse s'impose.
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